Interview de Nicolas Ferro, architecte du Cabinet Atelier 43
Jouant un rôle majeur dans l’environnement de tous, l’architecture façonne la vie de nos sociétés. Chaque construction, démolition ou réhabilitation touche le quotidien de nombreuses personnes, et par cette mission centrale, la profession porte également une responsabilité face aux défis de notre siècle.
Le plaidoyer de l’Ordre des architectes souligne en effet le rôle de l’architecture comme levier pour mieux vivre ensemble, et pour réussir la transition écologique et sociale de notre pays. L'Ordre est convaincu que la création architecturale est porteuse de solutions face à la triple crise structurelle qui menace notre société (crise environnementale, crise sociale et crise des ressources). Il plaide ainsi pour des stratégies publiques fortes, l’essaimage et l’amplification des expériences réussies et des bonnes pratiques se trouvant partout sur le territoire.
Partageant cette vision, les 4 associés architectes de l’Atelier 43 ont à cœur de donner du sens à leur métier. Ils ont ainsi fait le choix d’une gouvernance collaborative en se regroupant au sein d’une Société Coopérative et Participative (SCOP), afin de répondre collectivement aux projets sur lesquels ils souhaitent s’impliquer. Forte d’une équipe aux nombreuses expertises (architecture, construction bois, ingénierie, performance énergétique du bâtiment, etc.), la coopérative s’attache à faire émerger de nouvelles formes de projet. Elle s'engage également à valoriser la recherche d’une architecture sobre et innovante et à requestionner les usages dans un esprit low-tech et de bon sens.
Nous avons rencontré l’un de ses associés, Nicolas Ferro, architecte diplômé d’Etat HMONP de l’ENSA Lyon et ingénieur ENTPE qui nous a présenté le projet "Zone Libre". Porté par l’association Alynéa, c'est un projet sur lequel Atelier 43 a travaillé pour créer un lieu de vie à destination de sans-abris au long parcours de rue.
Persuadé que l’architecture doit être une réponse aux enjeux sociétaux actuels, M. Ferro est également bénévole de l’association Architectes Sans Frontières, qui défend le droit à un habitat digne et adéquat pour tous. Elle œuvre à améliorer les conditions de vie des populations vulnérables et défavorisées.
C’est dans ce cadre qu’il a croisé la route de l’association Alynéa pour la première fois puisque les deux associations s'étaient impliquées dans le projet d’occupation temporaire du site de l’Autre Soie à Villeurbanne. Projet urbain innovant et solidaire à mi-chemin entre habitat social et tiers-lieu culturel, l’Autre Soie est aujourd’hui une résidence mobile et modulaire ayant permis d'accueillir les familles hébergées au Centre d’Hébergement d’Urgence (CHU) Alfred de Musset.
L’atelier 43 avait alors répondu à un appel à projets d’Alynéa pour la construction d’une cuisine pour le CHU incluant la dimension "démontable/remontable", et l’association avait particulièrement apprécié le volet social et environnemental de la solution modulaire en bois proposée par l’Atelier 43 dont une partie devait être réalisée par les personnes en insertion.
Suite à cette première collaboration, Alynéa a retenu le cabinet Atelier 43 lors d’un nouvel appel à manifestations pour la construction des logements de "Zone Libre". S’inscrivant dans le cadre du plan quinquennal pour le logement d’abord et de la stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté du gouvernement, ce projet visait à expérimenter une approche d’accompagnement et d’hébergement innovante. L'objectif était de répondre aux attentes et aux besoins de personnes en situation de grande marginalité, pour qui les dispositifs existants n'étaient pas ou plus adaptés.
Sur le site d’une ancienne usine mis à disposition pour 3 ans par un bailleur privé, la commande passée par Alynéa était la réalisation de 10 habitats amovibles (dont certains autonomes), qui pourraient être réaménagés ailleurs dans le futur. M. Ferro se rappelle qu’outre le côté temporaire et démontable des habitats, la présence d’un hangar sur le site imposait également la transportabilité des matériaux de construction pour un montage sur place des panneaux préfabriqués en usine. Le budget était également limité aux financements obtenus par l’association.
Enfin, les contraintes de temps imposées par les calendriers des financements institutionnels (France Relance), par la pénurie de bois, ainsi que par l’urgence des situations précaires des futurs habitants imposaient également aux architectes de concevoir des habitats livrables en moins de 6 mois. Rappelons que généralement les délais de construction sont plutôt de l’ordre de 18 mois minimum.
Malgré ces impératifs, Atelier 43 a souhaité offrir un autre droit à habiter aux sans-abris, et a relevé le défi des exigences techniques tout en intégrant les futurs résidents dans le processus de création afin d’imaginer des chalets dans lesquels ils se voyaient s’ancrer.
L’aspect central du programme reposait sur la question du "comment habiter", avec un public composé de personnes à la rue depuis de nombreuses années et n’ayant pas l’habitude d’occuper un logement. Ainsi, c’est collectivement, grâce à l’aide des travailleurs sociaux d’Alynéa, de l’association Architectes Sans Frontières et d’étudiants en architecture, qu’Atelier 43 a pu penser le projet de construction afin qu’il soit un support au projet social.
Le pari de ce projet était de permettre la mise en mouvement des personnes à partir de ce qui est important pour elles. L’habitat n’a donc pas été pensé comme une fin, mais comme un moyen pour participer au rétablissement des personnes en grande fragilité. C’est dans cet objectif que le site a été dessiné afin de :
- permettre aux habitants de créer du lien tout en préservant leur intimité, en pensant l’espace d’entrée et le seuil comme supports à l’accompagnement,
- travailler sur la vie en communauté et faire en sorte que les habitants se croisent en veillant à la disposition des bâtiments, des allées et des espaces communs,
- faciliter l’appropriation des lieux pour les habitants en portant une attention particulière à la technique de construction, à l’esthétisme des matériaux et aux possibilités de personnalisation (choix de l’emplacement des meubles, de la couleur de la peinture, du revêtement du sol, etc.).
Certains aspects tels que l’importance du positionnement des habitats afin de permettre des sous-espaces sans vis-à-vis, ou l’importance d’espaces de vie collectifs pensés comme extension des lieux privés (cuisine collective, espace détente, zone de convivialité, terrain sécurisé dédié aux animaux, etc.) n’avaient pas été anticipés dans le programme architectural initial transmis par Alynéa. Toutefois, ils ont pu être mis en place grâce au travail réalisé avec les futurs résidents.
Accordant également une grande importance au respect de l’environnement, l’Atelier 43 a veillé à bien isoler les chalets de "Zone Libre", qui ont été conçus conformément aux normes RT 2012. L'objectif était de limiter les besoins en énergie du bâtiment et de garantir un confort thermique et acoustique aux occupants.
Le cabinet d’architecture met, au quotidien, un point d’honneur à utiliser des matériaux biosourcés ou issus du réemploi pour ses constructions, en passant notamment par l’association Minéka qui aide à l’emploi et à la récupération de matériaux de chantiers.
Cependant, N. Ferro nous explique qu’il existe encore certaines difficultés pour s’approvisionner uniquement en matériaux de seconde main (temps de recherche et de récupération des matériaux parfois trop long pour tenir les échéances, stockage nécessaire lors de la récupération de gros volumes de matériaux recyclés, assurance de ces matériaux, etc.) mais que des études et des démarches sont soutenues par la Métropole de Lyon pour créer une plateforme de fourniture de matériaux de réemploi aux professionnels.
Autre point important pour l’Atelier 43 : M. Ferro et ses associés militent pour une évolution des conditions de sélection des appels à projets dans les marchés publics. Ils plaident pour que les critères de bonne gouvernance et d’impacts environnementaux (émission de gaz à effet de serre, gestion des déchets, etc.) soient plus centraux dans les démarches d’achat responsable et soient considérés au même titre que des critères techniques ou de bonne gestion. Pour eux, instaurer une démarche RSE commence par la gouvernance d’une entreprise. C’est ce qui permet à une organisation de prendre en compte l’impact global de son activité et d’intégrer la notion de responsabilité dans ses décisions et dans les relations qu’elle entretient avec ses différentes parties prenantes.
Un projet tel que "Zone Libre" a nécessité de faire appel à avoir de nombreux corps de métiers pour intervenir sur la construction du site (électricité, maçonnerie, charpenterie, plomberie, etc.) et la sélection des professionnels du chantier a été faite en prêtant une attention particulière à ces notions (au total c’est même 7 coopératives qui ont participé au chantier). Souhaitant limiter l’impact du chantier, les professionnels mobilisés ont tous été sélectionnés car il étaient situés à moins d’1h30 du site. De même pour l'approvisionnement en matériaux qui s'est fait à proximité du chantier, ce qui a permis d’ancrer pleinement le projet sur son territoire.
L’exemple du projet "Zone Libre" permet de réaliser à quel point les choix architecturaux effectués ont des impacts directs sur le logement, sur le confort et sur la façon dont les habitants vont y vivre et s’approprier les lieux. Lorsque l’on parle d’hébergement d’urgence, l’adaptation de la qualité du lieu et du cadre de vie proposé par rapport aux envies et besoins des résidents est d’autant plus important qu’il vise à lutter contre le retour à la rue.
A travers ce projet, N. Ferro nous montre comment l’architecture a pu être un réel support au projet social et comment la complémentarité entre les compétences des architectes et des travailleurs sociaux a permis d’impliquer les habitants dès le début du projet dans une logique de reconstruction de soi et d’un regain du “pouvoir d’agir” de ce public fragilisé par des années de marginalité.
N. Ferro conclut en nous parlant de sa fierté de constater qu’aujourd’hui les habitants sont contents d’être dans les lieux, que certains ont pu trouver du travail à proximité de leur nouveau lieu de vie et que des projets comme celui-ci donnent du sens à son métier.
Si vous souhaitez en savoir plus sur le projet "Zone Libre", n’hésitez pas à écouter les 2 podcasts "Entre-Preneurs d'Idées" sur le sujet, où notre équipe RACINES est allée recueillir le témoignage de deux professionnels d’Alynéa et d’un habitant du lieu. (Ecoutez l'épisode 1 et l'épisode 2 ici).
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Le Réseau APOGÉES remercie toutes les personnes citées dans cet article pour leurs témoignages :
- M. Nicolas Ferro, Architecte au sein de l’Atelier 43, Société Coopérative et Participative d’Architecture à Villeurbanne dans le Rhône (69).
Ainsi que ses collaborateurs pour l’écriture, le recueil des interviews et leurs expertises :
- Maïwenn Le Bouil, Responsable fundraising et accompagnement des porteurs de projets du Réseau APOGÉES,
- Cécile Terme, Responsable communication du Réseau APOGÉES,
- Anne-Sophie Merlière, Assistante du Directeur général du Réseau APOGÉES,
- Zoé Branche, Chargée de marketing du Réseau APOGÉES.
- Manon Chabrier, Responsable marketing & transformation digitale du Réseau APOGÉES.
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