Concept d’action publique qui monte en puissance depuis le début des années 2000, la coopération territoriale permet à un collectif d’acteurs ayant des intérêts communs de mener ensemble et de manière partagée, des initiatives ou projets bénéfiques à un territoire donné.
Ces coopérations sont notamment appréhendées comme de véritables leviers de consolidation et de développement par les acteurs de l’ESS. En effet, elles leur permettent de maximiser leur impact social, environnemental et/ou économique dans un contexte de plus en plus complexe.
Faire face à la baisse des finances publiques, mieux répondre aux besoins des bénéficiaires, organiser une réponse globale sur un territoire, accéder à de nouvelles compétences, atteindre une taille adaptée à l’activité et/ou à leurs ambitions, s’organiser face à la concurrence croissante, etc., les raisons pour faire appel à la coopération semblent nombreuses pour les acteurs de l’ESS.
C’est le cas de l’ARFRIPS notamment, qui face au contexte général du secteur médico-social et à la baisse des subventions des financeurs, a traversé une période de crise et a impulsé un nouveau souffle à sa structure grâce aux partenariats territoriaux.
Aujourd’hui acteur incontournable de la formation aux métiers du social, cette association d’Auvergne Rhône-Alpes est restée pérenne en multipliant les collaborations avec différents types de structures (autres organismes de formation, universités, collectivités, financeurs, acteurs du médico-social, réseaux d’emploi et d’insertion, etc.).
"Nous avons dépassé les limites que l’on aurait pu croire infranchissables"
témoigne Mme Paquelin, Responsable du développement de l’ARFRIPS, l'un des 2 postes créés en janvier 2021 pour initier cette nouvelle stratégie interne.
Cependant, si les résultats de la coopération sont inspirants, il faut garder à l’esprit que celle-ci ne se décrète pas et ne s’improvise pas. C’est un processus collectif qui demande de passer du temps à plusieurs, pour se connaître, pour formuler un projet partagé et pour le mettre en œuvre.
A titre d'exemple, l’un des projets de l’ARFRIPS d'ouvrir leur formation d’éducateurs spécialisés sur un autre territoire, à Maurs dans le Cantal, en partenariat avec l’ADAPEI 15, a nécessité une compréhension du contexte des acteurs respectifs, une entente entre les parties et le partage de valeurs communes. L'objectif : défendre l’intérêt de l’ancrage territorial et convaincre les décideurs du bien-fondé de cette coopération. Ce projet a finalement vu le jour après une année de travail en collaboration et tout le monde en est sorti gagnant.
Cette notion du "gagnant-gagnant" évoquée par l’ARFRIPS est cruciale car il est capital que chaque partie trouve son intérêt au sein du projet commun.
En particulier, pour réussir une démarche de coopération et pour éviter les freins internes, il faut s’assurer de donner du sens au projet et de transmettre largement et de manière pédagogique, à l’ensemble des parties prenantes, les tenants et les aboutissants de cette collaboration.
Mme Jarlot, Directrice d’établissements qui accueillent des adultes en situation de handicap mental et/ou psychique dans le Rhône nous avoue : "Pour être parfaitement honnête, certains salariés ne sont pas toujours contents, et ce serait plus simple de faire les choses tout seul. Ce n’est pas facile de se sentir observé ou jugé par l’extérieur. Globalement les habitants sont très fiers de cet établissement, mais parfois des réflexions sur les résidents ne sont pas faciles à entendre".
Mme Bouvier-Estève, Directrice d’établissements accueillant des personnes âgées dans le même département, l’a rejoint sur ce constat : "Nous sommes conscients d’être une micro-société dans la société, environ 200 personnes qui se côtoient au quotidien pour l’EHPAD et l’Accueil de Jour. Il serait plus facile de fonctionner en vase clos".
La coopération, impliquant de multiples acteurs, va souvent à l’encontre de la facilité. C’est pourquoi l’impact positif des projets doit être clairement appréhendé par tous et susciter l’adhésion pour éviter une démobilisation progressive et la perte d’investissement des différentes parties prenantes.
D’autre part, passer par une phase de diagnostic et d’état des lieux, où chaque partie partage en toute transparence avec les autres ses constats, ses enjeux, ses orientations stratégiques et ses attentes, et prendre le temps de formaliser le projet de coopération à l’écrit sont des pratiques à encourager pour un développement du partenariat basé sur une confiance mutuelle.
En effet, comme l’explique M. Blaser, Directeur R&D du cabinet conseil APHILIA et expert de ces problématiques dans l’ESS, chaque acteur a ses objectifs, ses contraintes et ses logiques d’actions. Il convient donc de ne pas sous-estimer la culture sous-tendue par les logiques d’actions ainsi que les différentes dimensions recouvertes par le concept de territoire par chacun. Par exemple, la culture administrative ou la culture sanitaire ne sont pas les mêmes que la culture économique ou la culture d’acteurs associatifs. C'est le cas aussi pour un territoire administré (département, région) où les pouvoirs publics font vivre la loi, les règlements et les dispositifs d’action publique, qui n’est pas similaire à un territoire de santé qui se pense à l’échelle régionale et qui organise et planifie le dispositif d’accès aux soins. De plus, outre ces territoires définis géographiquement par les pouvoirs publics, il y a également les territoires construits et vécus par leurs acteurs, le territoire vu comme « un espace construit social ».
Ainsi, pour définir une action commune sur un territoire et répondre aux défis de l’hétérogénéité des cultures, il faut définir ensemble sur quel territoire va s’ancrer le projet, résoudre les mises en tension de toutes les logiques d’actions et impulser une dynamique de coopération transversale entre les différents acteurs.
Autres limites souvent évoquées par les établissements de l’ESS pour le développement d’actions de coopération : le caractère chronophage de ce travail et le manque de temps et de moyens humains.
En témoignent par exemple les propos de M. Baladi, Coordinateur de l’Association Isère Drôme Destination Juniors (IDDJ) : "Il nous faut déployer beaucoup de moyens pour tisser la toile, connaître les interlocuteurs, lancer des projets, tout en disposant de peu de moyens financiers pour ce travail de réseau chronophage et énergivore", ou ceux de Mme Bouvier-Estève : "La lourdeur de l’administratif demandé aujourd’hui dans nos métiers est très chronophage et empiète sur le temps dédié aux projets communs, ce sont de réels freins aux coopérations territoriales".
Pour répondre à ces besoins, certains établissements font le choix d’avoir des personnes dédiées à ces projets, tels que l’ARFRIPS comme précédemment mentionné, mais également l’EAM Le Fontanet. Cette structure qui accueille des adultes en situation de handicap mental et/ou psychique du Rhône, multiplie les projets d’ouverture vers l’extérieur afin de favoriser l’inclusion de ses résidents au sein du territoire. Ceux-ci participent à de nombreuses activités en dehors des murs de l’établissement grâce aux partenariats noués avec la mairie, les écoles, les commerçants, le club de théâtre, ou d’autres ESMS de la ville, tout en invitant également de nombreux publics lors d’évènements internes. Mme Jarlot, Directrice de l’établissement, témoigne : "Tous ces projets ont pu voir le jour grâce à l’action de notre coordinatrice d’activités. Elle est l’interlocutrice de tous les partenaires pour mettre en relation les différents acteurs. Planifier, organiser, gérer, décaler, adapter, inviter… cela prend beaucoup de temps, d’énergie et demande des compromis, mais cela en vaut la peine humainement".
Autre gage de succès : le leadership ne doit pas être négligé dans la coopération. "Il faut un pilote dans l’avion" comme le dit M. Blaser : c’est-à-dire qu’il faut des personnes qui gèrent, organisent, et régulent l’action commune afin d’éviter les effets de lassitude et les processus d’indécision. Ces personnes pilotes sont tenues d’avoir une bonne vision du projet afin de garantir la cohérence entre les orientations stratégiques et la conduite opérationnelle des projets. La tâche d’insuffler une méthodologie et un rythme de travail leur revient également (feuille de route, calendrier, échéances, etc.).
Enfin, à la base de tout projet de coopération, les acteurs doivent partager des besoins et des envies communes, et si possible une vision similaire et des valeurs proches afin de favoriser l’entente entre les parties.
R. Baladi témoigne : "Notre formation en réseau via IDDJ est issue de la volonté des gestionnaires de centres de vacances d’être moins isolés, de voir leurs activités mieux reconnues, et d’être soutenus par les pouvoirs publics face aux mutations de la société. Cette coopération répond à un besoin d’être plus fort ensemble et à une envie d’actions communes".
Mme Paquelin de l’ARFRIPS confirme également que leur partenariat tripartite avec l’ITSRA à Clermont et l’ADEA à Bourg visant à répondre à des appels d’offres en commun pour augmenter leurs chances d’être retenus, est avant tout né d’une entente humaine entre salariés de ces trois organismes. Ils avaient la même volonté de faire exister leurs instituts de formation respectifs, de développer leurs services, d’échanger entre pairs sur leurs problématiques, de partager des ressources pédagogiques et de trouver des solutions pour aller plus loin. C'est ce qui a rendu le travail fluide et le partenariat évident. Ils ont ensuite structuré juridiquement leur coopération à travers une convention afin qu’elle perdure dans le temps si les personnes venaient à changer.
Comme l’a fait l’ARFRIPS, il peut en effet être pertinent de mener une réflexion approfondie concernant la contractualisation des relations entre les différents acteurs de la coopération afin de la pérenniser.
En conclusion, la coopération territoriale est définitivement un levier de développement à explorer pour les établissements de l’ESS. Comme le résume Mme Bouvier-Estève "Ce sont les projets qui donnent du sens au quotidien ! ». Cependant, ces processus de rapprochement peuvent être pluriels, complexes, et demandent une grande implication des différents acteurs. Ainsi, pour que ces coopérations perdurent et soient fructueuses, les établissements doivent bien en comprendre les enjeux, motiver les troupes et se donner des moyens à la hauteur de leurs projets.
Ce sujet vous intéresse ? N’hésitez pas à consulter notre article sur les stratégies de coopération et de mutualisation dans l’ESS pour plus d'exemples de coopérations mises en place par certains de nos adhérents.
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Le Réseau APOGÉES remercie toutes les personnes citées dans cet article pour leurs témoignages :
- Mme Julie Paquelin, Responsable du développement et formatrice à l’ARFRIPS, Association d’Auvergne Rhône-Alpes pour la Formation, la Recherche et l’Innovation en Pratique Sociale,
- Mme Jarlot, Directrice de l’EAM Le Fontalet et de l’Accueil de Jour Les Grisemottes à Monsols dans le Rhône,
- Mme Doria Bouvier-Estève, Directrice de l’EHPAD Le Hameau des Aînés et de l’Accueil de Jour Les Tournesols à Bully dans le Rhône,
- M. Robin Baladi, Coordinateur de l’association Isère Drôme Destination Juniors (IDDJ), réseau qui regroupe les acteurs du tourisme social entre Alpes et Provence.
Ainsi que ses collaborateurs pour l’écriture, le recueil des interviews et leurs expertises :
- Laurence Laplace, Chargée d’accompagnement et des territoires du Réseau APOGÉES,
- Anne Ruat-Tchekemian, Adjointe de coordination Sud-Est du Réseau APOGÉES,
- Frédéric Blaser, Directeur R&D du cabinet conseil coopératif APHILIA, membre du Réseau APOGÉES,
- Zoé Branche, Chargée de marketing du Réseau APOGÉES.
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